par
Bruno Magliulo
Inspecteur d’académie honoraire
Le Haut conseil de l’éducation vient de publier un rapport consacré à
“l’orientation scolaire” en France. Cette instance officielle est une haute
autorité chargée d’établir chaque année un bilan des résultats obtenus par le
système éducatif français.
Le moins que l’on puisse dire est que ce rapport critique fortement le
système existant, et aboutit, après un constat de carence, à une demande de
profonde rénovation, pour une plus grande efficacité.
Faisant un diagnostic de la situation, le Haut conseil de l’éducation
dénonce quatre grandes carences du système existant :
1. Les élèves sont le plus souvent orientés là où il y a de la place, et en
fonction du seul bilan scolaire, alors qu’il faudrait plus férquemment le faire
en fonction de leurs souhaits et en tenant compte des débouchés professionnels.
2. L’offre de formation est très variable d’une académie à l’autre, si bien
que selon l’endroit où il habite, l’élève ne bénéficie pas des mêmes
opportunités d’orientation. Par exemple, l’académie de Lille dispose d’une
offre très large et importante de formations de type CAP/BEP/baccalauréat
professionnel, ce qui fait que la probabilité qu’un élève de troisième soit
orienté vers la voie professionnelle est nettement plus importante que dans les
académies d’Ile-de-France ou l’offre d’enseignement professionnel est
insuffisante, ce qui aboutit à surdimensionner l’orientation vers les voies
générales et technologiques.
3. L’offre de formation, et l’orientation qui en découle, sont trop souvent
éloignées des besoins du marché de l’emploi. Le rapport dénonce, dans un trop
grand nombre de régions, le manque, voire l’absence de formations
correspondant à des secteurs d’activité recruteurs, alors qu’inversement,
certaines filières sans débouchés perdurent, vers lesquelles on oriente
exagérément des élèves, parce que des places y sont disponibles. Exemple
frappant : pour les formations correspondant au niveau de qualification
professionnelle V (CAP/BEP), au niveau national, un tiers des élèves se
retrouvent dans des formations aux métiers de la comptabilité et du
secrétariat, alors que le recrutement à ces niveaux de formation est
largement bouché, les employeurs ayant de plus en plus tendance à recruter aux
niveaux IV (baccalauréat) et III (BTS/DUT).
4. Le pire est que ces réalités étant connues, on pourrait s’attendre
à ce que de gros efforts d’ajustement de l’offre de formation soient accomplis,
et que les flux d’orientation des élèves s’ajustent à ces réalités. Or, tel
n’est pas le cas. Il est très difficile de fermer certaines formations à faible
débouchés (on évoque le poids des politiques locaux qui freineraient, les
professeurs qui n’accepteraient pas aisément de se recycler …).
Concernant le dispositif existant de l’orientation scolaire, le rapport
propose de le faire évoluer dans quatre directions :
1. Réduire l’éclatement actuel. L’orientation scolaire est assurée par
l’Etat, la plupart des régions, certaines villes, des grandes entreprises et
organisations professionnelles, ainsi que par le secteur privé. Rien que pour
la puissance publique, on compte plusieurs structures, placées sous des
tutelles différentes : divers ministères (Education nationale, Emploi, Santé,
Culture, etc.), diverses collectivités territoriales (régions, départements,
communes), des compagnies consulaires (chambres de commerce et d’industrie,
d’agriculture, des métiers)… se faisant largement concurrence. Il faudrait que,
pour le moins, on installe une tutelle unique pour les dispositifs qui
dépendent de la puissance publique, a minima de l’Etat.
2. Le rôle des 4300 conseillers d’orientation-psychologues de l’Education
nationale doit être revu, de même que leur formation et recrutement.
Ce corps de fonctionnaires d’Etat est trop peu piloté. Aux yeux des rédacteurs
du rapport, il n’est pas normal qu’ils disposent d’une aussi grande capacité
d’auto gestion de leur temps de travail, qu’ils ne soient pas inspectés… Le
rapport suggère qu’on recentre leurs tâches sur la mission fondamentale qui
consiste à “informer” (les élèves, leurs parents …), domaine pour
lequel le besoin des familles est insuffisamment satisfait, et qu’on
réduise le volet “approche psychologique de la personne”. Cela reviendrait à
rompre avec l’actuel système de formation et de recrutement qui fait de la
seule licence de psychologie la base du dispositif. Le rapport propose donc que
leur recrutement soit diversifié, et s’ouvre à des vocations venues d’autres
formations, plus proches de la réalité du monde économique. Du point de vue
statutaire, les conseillers d’orientation (qui ne seraient donc plus
“psychologues”) devraient être placés sous l’autorité d’un chef d’établissement
auquel le CIO (centre d’information et d’orientation) dans lequel ils exercent,
en complément de leur activité en établissement, serait administrativement
rattaché. Autre scenario possible : le rattachement de tous ces fonctionnaires
d’Etat à l’administration régionale.
3. Amplifier la participation des professeurs au dispositif
d’orientation scolaire. Reconnaissant que d’importants progrès ont été
accomplis ces dernières années dans ce domaine, le rapport préconise d’aller
plus loin. Certains professeurs volontaires pourraient exercer à temps partiel,
voire à temps complet, en tant que conseiller d’orientation. A minima, il
faudrait faire encore plus appel à eux pour assurer la tâche d’aider les élèves
et parents à construire leur projet d’orientation scolaire. Pour cela, il
faudra accompagner cette évolution du métier d’enseignant par une formation
d’adaptation à ces tâches.
4. Enfin, le rapport du Haut conseil de l’éducation préconise de renforcer
l’ “éducation à l’orientation”, tout au long de l’enseignement secondaire. En
particulier, l’option “découverte de l’entreprise”, actuellement proposée en
classe de troisième à raison de trois heures par semaine, devrait être étendue,
voire généralisée.
Ce n’est pas la première fois qu’un rapport officiel dénonce les carences du
systèmes français d’orientation scolaire, et propose des réformes en vue d’en
améliorer l’efficacité. Rappelons à ce sujet le rapport du Haut conseil de
l’évaluation de l’école, paru en mars 2004 sous le titre “L’évaluation de
l’orientation à la fin du collège et au lycée”, signé par Maryse Hénoque,
Inspectrice de l’information et de l’orientation, et André legrand, professeur
des universités. Ce rapport se montrait également très critique, en appelait à
une réforme en profondeur du dispositif existant… Force est de constater qu’il
est resté lettre morte !
Il est donc permis de se demander si le rapport que nous vous
présentons n’est qu’un rapport de plus, promis au même triste sort que ses
prédécesseurs, ou s’il parviendra à servir de levier pour une vraie mise à plat
du système d’orientation scolaire existant, et une réelle réforme de celui ci.
A suivre donc … mais le doute est permis !